par Virginie Michelet
Acte I : l’annonce
C’est un samedi soir des vacances de février. Dans le TGV qui « remonte » vers Paris, plus une place. C’est l’heure du dîner. Comme nous en avons l’habitude, nous allons nous diriger vers le bar. Tout à coup, les haut-parleurs nous annoncent que la Société des Wagons-lits Accor va être remplacée demain par la Société Cremonini, et que, ce soir, il n’y a plus qu’une dizaine de sandwiches. Au bar, la situation est claire : c’est la pénurie. Et qui dit pénurie, dit instinct animal. Un couple rafle le maximum d’aliments pour ne pas en manquer, un autre en prend le minimum pour qu’il y en ait pour tout le monde, une femme et son enfant se contentent de ce qui reste, l’instinct, vous dis-je. Sur le comptoir, un plateau de croissants défraîchis. On pourrait penser qu’étant donné la grossièreté de la situation – fermer boutique LE samedi soir du chassé-croisé des vacances de février –, la SNCF ou la Société Accor auraient proposé d’offrir les croissants en dédommagement. Eh bien non, les viennoiseries frelatées sont à vendre…
Nous, nous sommes des consommateurs de base, tendance plaisir. Nous avions appris, au fil de nos voyages, à ne plus craindre le fameux sandwich SNCF tant décrié dans les années quatre-vingt. Nous en étions venu, carrément, à apprécier le concept « bon et bien fait » et son parti pris moderne, ainsi que les petites cassolettes et autres plats et gâteaux que nous pouvions déguster sans trop avoir à craindre les E machin chose et la surabondance de gomme xanthane, de glucose-fructose et de graisses trans. Bref, nous étions contents, et nous avions l’habitude de nous offrir ce petit plaisir. Jusqu’à ce soir-là…
Acte II : l’offense
Quelque temps plus tard, poussés par la faim, nous voici devant le bar. Après tout, pourquoi pas essayer cette nouvelle Société Italienne. On verra bien. Il n’y a pas foule, juste une dame derrière nous. Je constate rapidement que Michel et Augustin, ma marque de gâteaux fétiche, a disparu. Ainsi que toute originalité. Ainsi que ce je ne sais quoi de bien packagé. J’ai tout à coup l’impression de me retrouver dans une cantine des années…quatre-vingt. Retour vers le passé, orchestré par trois « bio » mis en avant sur des produits sans intérêt, et, bien entendu, les fameuses mentions « petit prix » qui n’en sont pas.
Mais trêves d’impressions, il faut commander. Devant la nouveauté de la carte, je marque un instant d’hésitation. Aussitôt, le serveur s’adresse à l’unique personne derrière nous. « Et pour vous, c’est quoi ? » Interrompue dans ma réflexion de la manière la plus odieuse qui soit, je me révolte : « Je n’ai pas fini de commander… » L’homme rétorque : « Vous hésitez, je sers la personne suivante ». Et il ajoute « Je suis payé à la commission, moi, pas le temps de vous attendre ! » Je n’ai pas ma langue dans ma poche et je le lui fais savoir « Mais vous aimeriez, vous, qu’on vous traite comme ça ? » La réponse fuse « Oh, moi ? On me traite bien pire que ça, bien pire !!! »
J’en reste coite. Nous finissons d’acheter « quelque chose à manger ». Toute notion de plaisir a disparu. Nous voulons juste en finir le plus vite possible. Bien entendu, nous laissons deux fois moins d’argent qu’auparavant. Bien entendu, la nourriture se révèle de mauvaise qualité, bourrée d’additifs (voir mon PS plus bas). Nous ferons donc tout notre possible pour ne plus avoir à consommer dans le train.
En fin de compte (et toute colère bue), je me demande qui achète ce genre de repas. Certainement pas les plus modestes : ceux-là ont avec eux de quoi manger. Que reste-t-il alors ? Des gens comme nous ?
Plus de recherche gastronomique, plus de produits sains, une offre réduite, des prix seulement un peu plus bas : la SNCF se trompe de cible et retarde d’un… métro. Et dire que certaines grandes enseignes, en ce moment, planchent sur le luxe pas cher…
© Virginie Michelet
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PS: Pour mémoire, voici les ingrédients du « Wrap » arraché aux griffes du vendeur, tels qu’ils figurent sur la boîte (sauf mes commentaires en italiques):
Galette de blé à la tomate (44%), farine de blé, eau, huiles et graisses de palme et de colza (attention, quand rien n’est spécifié, ces graisses sont hydrogénées, remplies de gras trans), tomate, paprika, sel, sucre, émulsifiants : E471 et E472e, acidifiants E296 et E330, poudres à lever : E450 et E500, basilic.
Poulet rôti 22% ( 20% filet de poulet, antioxydants : E325 et E331, protéines de lait, protéines de soja, sel, lactose, gélifiant : E407a, stabilisant :E451, huile de maïs)
Sauce Caesar 14% (mayonnaise, huile de soja ou de tournesol, eau, jaune d’œuf, vinaigre d’alcool, sel, acidifiant : E330, antioxygène : E224, curcuma, sucre, sel, amidon modifié de maïs (très nocif), stabilisants : E412 et E415, colorant : E160a)
Fromage blanc (lait écrémé, crème fraîche, ferments lactiques) parmesan, anchois, jus de citron et d’orange à base de concentré, eau, pulpes de citron, acidifiant : E330, extrait naturel de citron, amidon modifié de manioc (encore), ail, huile de soja, sel, poivre, salade, beurre.
… On ne regarde jamais assez les étiquettes !!