Depuis plus de 20 ans, Michael Pollan poursuit un passionnant travail de déconstruction des abus de l'alimentation industrielle, et de leurs conséquences en matière de santé et de nutrition. Il se pose en défenseur de l'alimentation "vraie" ("real foods") et en détracteur des "food-like products". Les défenseurs du bio et du naturel, les "locavores", les tenants du "slow food" sont parmi ses lecteurs les plus assidus. Voici qu'il a une nouvelle catégorie de lecteurs: les marketeurs des marques agro-alimentaires.
Dans "In Defense of Food: the Myth of Nutrition and the Pleasures of Eating" (2008), Michael Pollan nous mettait en garde: "Avoid food products containing ingredients that are a) unfamiliar b) unpronounceable c) more than 5 in number, or that include d) high-fructose corn syrup". Les marketeurs de plusieurs marques l'ont pris au mot. En voici 3 exemples:
Häagen-Dasz a lancé en 2009 une nouvelle gamme de glaces, "FIVE": "All-natural ice cream crafted with only five ingredients for incredibly pure, balanced flavor... and surprisingly less fat!. Un véritable succès: elle représenterait déjà environ 10% des ventes de la marque.
Regardons de plus près les revendications nutritionnelles de cette gamme de glaces.
- Un premier constat s'impose: les 5 ingrédients sont présentés en facing - et non pas dans un tableau incompréhensible en dos de packaging.
- Les 9 variétés sont mono-produits (vanille, caramel, citron, menthe....). La marque s'est donc bien gardée d'y introduire des variétés complexes comme "Banana Split" ou "Caramel Cone" - qui contiennent jusqu'à 17 ingrédients, certains "imprononçables" et incluant du "corn syrup".
- 4 des variétés correspondent en fait à une reformulation de la gamme de glaces traditionnelles de la marque (chocolat, vanille, fraise, café) - constituée à partir de ... 5 ingrédients!
- La différence essentielle tient dans le travail qui a été réalisé sur les matières grasses.. et donc la teneur en calories de la glace. Ainsi la glace à la vanille est-elle passée de 290 à 220 calories et les matières grasses totales de 27% à 17% ("per serving").
Frito Lay met en scène ses Classic Potato Chips - en vantant le fait qu'ils ne sont composés que de "3 ingrédients simples: des pommes de terre, une huile naturelle et une pincée de sel"... Vous pouvez même entrer sur leur site web un code trouvé sur le packaging et identifier le producteur de pommes de terre...
Pillsbury propose une nouvelle gamme de pâte à cookies 'Simply' - utilisant des ingrédients "connus" et des process de fabrication "comme à la maison".
Que retenir de ces exemples récents (il y en a d'autres comme Starbucks, Campbell, Kraft...)?
- Le débat sur la santé a pris une telle ampleur aux USA (et Michael Pollan y est pour beaucoup) que les marques ont entrepris de reformuler leurs produits en faisant disparaître un grand nombre d'ingrédients "à risque" - ou en réduisant sensiblement les teneurs en sucre ou en sel...
- Toutefois ce débat n'a pas encore abordé la question de ce que l'on entend par "sucre" ou "poudre de lait": quel type de sucre est utilisé (blanc ou brun)? les process de fabrication de la poudre de lait ont-ils une influence? quels effets ceci a t-il sur la santé?
- Parler ici de "simplicité - comme le font de nombreux commentateurs (dont Mintel) - me semble insuffisant: bien sur le consommateur est actuellement en surcharge cognitive et souhaite une simplification de l'offre. Mais en l'occurrence il s'agit de toute autre chose: les consommateurs souhaitent la disparition des ingrédients 'à risque'.. afin de préserver leur santé.
- De nouvelles marques apparaissent - dont le positionnement est celui du respect de l'équilibre
nutritionnel. On y trouve Innocent, Michel & Augustin.. mais aussi Moobella: cette société installe depuis quelques mois en Nouvelle Angleterre des machines à fabriquer des glaces (proposant à ses consommateurs de créer sur place leur propre type de glace: "votre variété de glace en 40 secondes") à partir d'ingrédients naturels et moins gras que... Häagen-Dasz!
Je vous propose, pour finir, de visionner la réaction de Michael Pollan lui-même à cette nouvelle approche du marketing des marques: