J'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui, sur BrandWatch, Virginie Michelet, écrivain et journaliste. Je lui ai demandé un billet d'humeur sur des expériences vécues au contact des marques... Voici son premier post ! Merci à Alph B. Seny pour la superbe photo!
J’adorais aller chez Fauchon,
place de la Madeleine, acheter des brocolis au temps où l’on n’en trouvait pas
dans les autres magasins. Je
pénétrais par la porte vitrée et souriais à un homme ganté qui venait aussitôt
à ma rencontre. Je prononçais le mot à consonance italienne, indiquais la
quantité, le serveur se saisissait aussitôt du précieux légume, le pesait et le
plaçait dans un carton blanc exactement adapté à la forme et au poids du
végétal. Ensuite, l’homme enveloppait le carton dans du papier blanc, et le
scotchait. Parfois, je prenais également un peu de dattes fraîches. Le tout se
retrouvait alors dans un sac de papier épais, aux armoiries de la célèbre
maison. Il me suffisait de quelques minutes pour faire mes emplettes, tant les
serveurs affables se montraient empressés. Sans doute y en avait-il au moins
autant que de clients.
J’étais arrivée chez Fauchon avec
l’intention de me faire plaisir en achetant un mets raffiné, introuvable, dans
une ambiance luxueuse. Je repartais satisfaite, car j’avais trouvé le meilleur
aux meilleures conditions. Et la culpabilité que j’aurais dû éprouver à cette
dépense un peu folle était largement compensée par la joie de l’acte léger que
je venais d’accomplir.
Tout autre est l’expérience que
j’ai vécue hier. Pourtant, elle partait exactement de la même intention. La
marque, cette fois-ci, n’était pas Fauchon, mais Guerlain. Un gage de sérieux,
une maison renommée, je ne pouvais faillir à mon envie d’un moment de
relaxation volé à des temps autrement plus durs.
Au Trianon Palace, à Versailles,
j’arrive donc dans un lieu entièrement rénové avec le fol espoir d’effacer une
semaine de crispation musculaire devant mon ordinateur. Une jeune femme blonde
m’accueille avec le sourire et jusque-là tout va bien. Sauf qu’elle est tout de
même un peu jeunette, on imaginerait plus d’expérience, de la part de la maison
Guerlain. Elle me fait pénétrer dans une cabine spacieuse à la lumière tamisée.
Une fois que je suis en place, allongée sous d’épaisses serviettes, elle entre
dans la pièce et me pose une question qui me met immédiatement la puce à
l’oreille : « Afin de personnaliser le massage, pouvez-vous me dire
si vous souffrez de quelque chose ? » Est-ce le ton ? J’ai
l’impression de me retrouver en communication téléphonique non désirée avec
quelqu’un qui essaierait de me vendre des fenêtres. Ou des assurances. Cela sent « l’appris par cœur »
selon un protocole bien établi. Je ne crois pas si bien dire : la minute
ou la créature me touche le crâne, je comprends qu’il y a erreur sur toute la
ligne. Cette femme ne sait pas ce qu’est un corps. Elle effleure au lieu de
masser, touche à peine, probablement par peur de perdre une minute d’un temps
imparti, soigneusement décompté. Il n’en faut pas plus pour me précipiter du
paradis espéré vers l’enfer de ce qui aurait pu, mais qui n’est pas, et ne
saurait être.
Le protocole, effectivement, a été
si bien appris que lorsque je lui demande d’insister sur un point douloureux,
la jeune femme me répond qu’elle y reviendra plus tard. Mais plus tard sera
trop tard, car le fameux protocole a continué de s’égrener dans sa tête et sur
ses mains insensibles, me plantant là, moi et ma douleur.
Frustrant, certes. Alors
j’interroge les hôtesses sur cette incroyable perte de temps et d’argent.
Pourquoi tant de haine et si peu de plaisir ? On me répond qu’il faut que je puisse trouver
exactement le même massage si je vais chez Guerlain à Hong Kong, ou à Paris, ou
à New York. Alors je comprends tout : le seul moyen de s’assurer que ce
soit bien le même massage partout, c’est de ne pas en faire ! Cela tombe sous
le sens, comment ne l’ai-je pas vu plus tôt ? Et moi qui pensais que le
massage, c’était un rapport humain ! Et moi qui pensais que le luxe,
c’était l’attention à l’autre, cet être unique…